Paris

« Le Studio 7 est un groupe de jeunes acteurs russes aux talents remarquables qui renouvellent radicalement la scène théâtrale moscovite. À peine sortis de l’école du MXAT, où leur promotion a fait sensation, ils ont constitué le Studio 7 du Théâtre d’Art, dirigé par Kirill Serebrennikov. J’ai rencontré mes acteurs russes quand ils étaient encore à l’école du Théâtre d’art, depuis ils se sont constitués en compagnie avec le metteur en scène Kirill Serebrennikov qui est comme un frère pour moi. Aujourd’hui nous sommes installés au Gogol Center. Et ces acteurs là créent événements à chacune de leurs créations, ils viennent par exemple de gagner le masque d’or l’année passée, le prix de la critique pour Fairies… Ils sont vraiment très impressionnants, j’ai été saisi lorsque je les ai rencontré de leur intelligence, de leur savoir faire, de leur savoir être et de leurs capacités physiques. Ils ont des présences brutes sur le plateau, une énergie folle et une grande humilité. J’ai eu envie de partager avec eux mon expérience de ce texte de Shakespeare, persuadé que je peux encore découvrir énormément sur ce texte grâce à eux. J’ai déjà créé plusieurs spectacles avec ces acteurs, plusieurs performances, notre histoire continue de s’écrire et n’est pas prête de s’arrêter. J’ai tout fait pour que nous puissions montrer ces travaux sur les scènes françaises et je suis très heureux de ce triple accueil aux Gémeaux et au Théâtre National de Chaillot (Hamlet, Metamorphosis, Le songe d’une nuit d’été) qui offrira aux publics d’Île-de-France, une belle occasion de découvrir le talent de ces artistes impressionnants. Après le succès de sa création française du texte de Shakespeare, David Bobee réadapte pour eux sa mise en scène au Gogol Center. Un spectacle dynamique, à l’esthétique cinématographique porté par l’énergie renversante de ces acteurs russes. Hamlet dans un palais de carrelage noir, un espace dur, froid, humide ; Elseneur en chambre froide. Une morgue cathédrale inondée d’une eau noire. Un espace sombre comme l’intérieur d’un crâne, qui se transforme peu à peu en morgue contemporaine avec tiroirs réfrigérés, tables de thanatopraxie et le corps du père d’Hamlet gisant. La mort dans ce qu’elle a de plus brutal et de moins romantique. Et pas de crâne dans la main d’Hamlet, surtout pas de crâne, juste quelques fragments d’os, un crâne explosé, exposé dont il ne reste rien. Pas de romantisme. Une vanité oui mais du XXIe siècle donc violente et fragmentaire.

Hamlet, pour moi, est quelqu’un qui utilise tous les outils à sa disposition, y compris le théâtre, pour questionner son environnement. Il a des interrogations à la fois intimes et politiques qui résonnent avec ce que j’explore dans mes spectacles depuis toujours : la présence de la mort, du deuil, la catastrophe comme révélateur ou élément perturbateur… Hamlet n’a pas la connaissance, il a l’intuition de la vérité. De mon côté, j’ai l’intuition de ce texte-là, l’intuition qu’il a de grandes résonances par rapport à mon travail, par rapport à moi, et par rapport à notre époque. Le père d’Hamlet est roi, le père d’Hamlet meurt, Hamlet ne devient pas roi. Dès l’ouverture du spectacle, l’ordre du monde – naturel, sociétal, familial, intime – est brisé, bouleversé. Alors, la question « qui suis-je ? » commence à résonner, la naissance de la conscience, de l’individu acteur du monde. Shakespeare cristallise ici son époque : la fin d’un monde et la renaissance d’un autre. Cela fait sens aujourd’hui : comment agir sur un monde en crise, et en proposer un renversement. Être ou ne pas être revient à dire cela : agir ou ne pas agir. S’engager dans l’action au risque de mourir et de ne plus être ou bien ne rien faire, laisser le monde en l’état, rater sa vie et finalement n’être pas. »