Panel 24: Shakespeare et les romans hispano-américains

Si l’œuvre de Shakespeare a donné lieu à une ample filiation littéraire, sa présence au sein de la littérature hispano-américaine en constitue certainement un prolongement méconnu et singulier, jusqu’ici peu examiné. C’est notamment le cas du roman du pouvoir tel qu’il se déploie dans la littérature hispano-américaine : quand bien même s’agit-il de théâtre, la fiction shakespearienne nourrit une profonde filiation, par exemple avec El otoño del patriarca de Gabriel García Márquez, El recurso del método d’Alejo Carpentier ou encore Yo el Supremo d’Augusto Roa Bastos, à travers de multiples citations, références et allusions.

Un tel intertexte, outre le fait qu’il rappelle l’immense postérité de Shakespeare, ne fait que renforcer la pertinence du recours au baroque dans l’appréhension du pouvoir mis en scène dans la littérature hispano-américaine : entre la vision du pouvoir déployée par Shakespeare et celles édifiées par les écrivains hispano-américains transparaît une communauté de pensée, indice peut-être d’un dépassement de la référentialité historique au profit d’une perception essentielle de la nature du pouvoir, et dans le portrait de la folie du pouvoir apparaît clairement le mirage des rois et des princes shakespeariens. Bien sûr, ni Shakespeare et l’époque baroque, ni les écrivains hispano-américains ne sont les seuls à avoir réfléchi à la question du pouvoir ; mais les problématiques qu’ils soulèvent leur semblent suffisamment chères pour que l’on en retrouve les motifs au-delà des siècles et des continents, en particulier à travers une énonciation à la première personne.

D’ailleurs, Philippe Forest rappelle la dette des romans modernes à l’égard de « la grande révélation shakespearienne d’un univers enveloppé de sommeil, tissu de songes, dans lequel passent de purs figurants, acteurs maladroits dupés par le mirage de leur rôle insignifiant[[Philippe Forest, Le Roman, le réel, et autres essais, Nantes, Éditions Cécile Defaut, 2007, p. 129.]] », et Roa Bastos écrit que « [en] el propio Francia […] se podrían encontrar ciertas semajanzas con el Prospero de La Tempestad, de Shakespeare, que El Supremo de la novela se jacta de conocer[[Augusto Roa Bastos, « Algunos núcleos generadores de un texto narrativo », L’idéologique dans le texte, Toulouse, Travaux de l’Université, 1978, p. 80. Traduction : « [dans] Francia lui-même […] pourrait-on rencontrer quelques similitudes avec le Prospero de La Tempête de Shakespeare, que le Suprême du roman se targue de connaître ».]] ». C’est ce parallèle riche de sens entre la littérature hispano-américaine et les œuvres dramatiques de Shakespeare qu’il importe de considérer plus attentivement, tant y est exploité le thème du pouvoir politique et de ses dérives, mais surtout de ses conséquences dans la conscience humaine. L’intérêt de ce rapprochement résiderait-il précisément dans cette peinture d’une conscience ?

Ainsi peut-on reconstituer dans la littérature hispano-américaine quelque chose comme cet « âge shakespearien où la souveraineté s’affrontait avec l’abomination dans un même personnage[[Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1975, p. 331.]] ». Le théâtre du dramaturge élisabéthain contient une réflexion complète sur le pouvoir et ses conséquences morales, voire métaphysiques, disséminée dans l’ensemble de son œuvre. À l’instar des pièces de Shakespeare, la littérature hispano-américaine met en scène le pouvoir dans sa version la plus corrompue, suscitant ainsi une réflexion sur la conscience du pouvoir absolu. Ainsi forment-ils une communauté s’intéressant, s’il est possible de le formuler ainsi, à une ontologie du pouvoir. C’est précisément vers cette dimension réflexive que la présence de l’intertexte shakespearien dans la littérature hispano-américaine semble nous mener.

Les propositions de communication privilégieront le roman hispano-américain, sans pour autant exclure les autres genres, en particulier le genre dramatique. Les communications, d’une durée de 20 minutes, prendront place dans un panel au sein du Colloque Shakespeare 450, organisé par la Société Française de Shakespeare, du 21 au 27 avril 2014 à Paris. Pour plus d’informations : le site du colloque Shakespeare 450 ([->http://www.shakespeareanniversary.org/])

Les propositions de communication (250 mots), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique de l’auteur, sont à envoyer avant le 20 août 2013 à [->cecile.brochard1@univ-nantes.fr].